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4: Le Premier des Célèbres Votageurs Anglais: Edward Clarke, Calomniateur Calomnié

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IV: Le Premier des Celebres Voyageurs Anglais: Edward Clarke, Calomniateur Calomnie 85

Edward Clarke naquit en 1730. Il est connu surtout comme le père du célèbre voyageur et archéologue, Edward Daniel Clarke, dont l'activité a été bien autrement féconde que celle de son père. Celui-ci ne fut, malgré son élection en 1753 à un fellowship de Saint John's College, Cambridge, qu'un érudit de troisième ordre. Ses petits poèmes dans le goût de l'époque - des hexamètres grecs sur la mort de Frédéric, prince de Galles (1751), sa "Letter to a Friend in Italy" (1755), et les projets érudits qu'il forma et n'accomplit jamais - un dictionnaire latin et une édition du Nouveau Testament grec - n'auraient pas suffi pour sauver de l'oubli cet homme médiocre. Entré dans l'église anglicane, il devint en 1758 recteur de l'église de , dans le Surrey, et, comme un autre protagoniste de nos polémiques, John Bowle, il fut, toute sa vie, un humble curé de village.

Il ne sut pas cependant mettre ses loisirs à si bon profit que Bowle, et si les hispanistes ne souviennent encore de lui, c'est uniquement grâce aux deux années 1760-61 qu'il passa à Madrid, loin de sa paroisse, comme aumônier du Comte de Bristol, Ambassadeur britannique à la Cour d'Espagne. En effet Clarke, excité sans doute par ce changement total de sa vie ordinaire, osa, après une connaissance si courte de l'Espagne, écrire un livre sur ce pays, et non pas une simple description de ses expériences, mais un livre d'érudition. C'est ainsi qu'il publia en 1763 ses Letters concerning the Spanish Nation: Written at Madrid during the years 1760 and 1761. By the Rev. Edward Clarke, M.A. (London: T. Becket and P.A. Dettondt, 1763, p. 354).

Le livre eut un succès considérable. La Monthly Review en publia une longue critique. La Review fait ressortir l'originalité de l'oeuvre de Clarke et en publie des fragments étendus. Elle commet une bévue typique de l'époque en citant (p. 288) avec des applaudissements chaleureux un passage tiré de la préface des Lettres (p. vi), et qui ne pouvait que blesser l'amour propre des Espagnols. Clarke y affirme que la conclusion évidente de son voyage est qu'il faut se réjouir d'être né en Angleterre, où tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles.

"There is one circumstance in this publication, which affords the author no small satisfaction; and that is the giving this reader a fresh proof of the happiness which he enjoys in being born a Briton; of living in a country where he possesses freedom of sentiment and of action, liberty of conscience and security of property, under the most temperate cLimate, and the most duly poised government in the whole world...Let an Englishman go where he will, to Spain or Portugal, to France or Italy; let him travel over the whole globe, he will find no constitution comparable with that of Great Britain" (Préface, pp. vi-viii).

Les "Lettres" de Clarke, parurent de nouveau, dans une forme abrégée, à Londres, en 1767, dans un recueil anonyme publié chez J. Knox: A New Collection of Voyages, Discoveries and Travels. 86

Elle avait été traduite deux fois en allemand en 1765. La première traduction, celle de Johann Tobias Khler parut à Lemgo (766 pp. in-8), avec un titre extrêmement long: Briefe von dem gegenwärtigen Zustande des Königreichs Spanien...etc. La seconde, celle de C.H. Langer (Lübeck, Donatius, 1765 in 8), avait un titre beaucoup plus simple: Briefe, die Spanische Nation betreffend. 87

Une traduction française, due, selon Barbier, à Guillaume Imbert, parut à Paris, chez la Veuve Duchesne, en 1770. Ces deux tomes in-12 portent le titre: Etat présent de l'Espagne et de la Nation espagnole. Boucher de la Richarderie raconte> 88 que le gouvernement français prohiba pendant quelque temps la distribution en France de la traduction du livre de Clarke. Cette mesure aurait eu l'effet ordinaire de faire renchérir ce Voyage, en excitant la curiosité du public, et aurait fait rechercher l'ouvrage avec plus d'empressement. Selon Boucher de la Richardie, cette mesure ne fut pas due à une initiative du gouvernement espagnol, mais à la crainte que le public français pourrait appliquer au roi Louis XV, dont on connaît le goût effréné pour la chasse, le passage où Clarke décrit cette même passion chez Charles III, "le plus grand Nemrod de son siècle." Selon de la Richardie aussi, cette mesure fut très injuste, car Clarke rend ailleurs une justice éclatante au grand roi que fut Charles III. Swinburne nous a laissé un portrait très semblable du roi d'Espagne, et, si le gouvernement français n'a pas défendu la traduction du Voyage de Swinburne, qui parut en 1778, ce serait parce que Louis XV était déjà mort, et ses passions avec lui. De la Richarderie rend hommage à l'impartialité de Clarke et de Swinburne.

Malgré tout, Clarke mérite cet éloge, et seule la passion nationaliste peut expliquer les insultes dont bientôt les Espagnols en choeur commencèrent à l'accabler. Selon les Espagnols, Clarke serait celui qui avait donné la chiquenaude à tous les recits de voyage d'Anglais en Espagne, dans lesquels la Légende Noire a trouvé une nouvelle façon de s'exprimer. L'attaque la plus serrée se trouve dans le prologue du premier volume (pp. iii-xv) du Viage fuera de España d'Antonio .i.Ponz;. Quelques écrivains non espagnols, notamment Baretti, se mirent aussi à critiquer Clarke, mais c'étaient surtout les auteurs de quelque nouveau Voyage en Espagne, qui avaient besoin de prouver que le plus célèbre de ces Voyages, celui de Clarke, ne valait rien, et que par conséquent leurs livres à eux étaient bien nécessaires.

.i.Ponz; avoue qu'il s'est servi de la traduction française des Lettres de Clarke, de sorte qu'il est possible, malgré la théorie de Boucher de la Richarderie, que cette traduction ait été prohibée à suite d'une réclamation du gouvernement espagnol.

Les accusations des Espagnols contre Clarke peuvent se diviser en deux catégories. La première se rapporte à l'exactitude des renseignements, à la valeur scientifique du livre de Clarke. Il faut avouer que ces reproches sont assez justifiés. Après un séjour à Madrid d'à peine deux ans, Clarke a voulu écrire un livre sur tous les aspects de la vie et de l'histoire espagnoles, avec une prolixité de renseignements précis. On voit bien ici le danger de l'encyclopédisme du 18ème siècle. N'oublions cependant pas que Clarke dût quitter Madrid lorsqu'en 1761, éclata la guerre entre l'Angleterre et l'Espagne. Il explique cette circonstance dans sa Préface (p. 11) et s'excuse de publier un livre après si peu de préparation. Il avait prévu un séjour bien plus long en Espagne. .i.Ponz; affirme (p. ix) que, quant aux beaux-arts, Clarke est "un ignorantón de primer orden." L'expression est forte, mais il est certain que l'érudition espagnole de Clarke n'est pas très solide. Les citations qu'il fait en espagnol prouvent qu'il n'a jamais dominé cette langue; contentons-nous de citer siesto (au lieu de siesta, p. 341), Isabella (p. 199), Padre mi! (p. 104), et Calderoni (partout; on ne trouve nulle part l'orthographe correcte du grand dramaturge espagnol). Comme un exemple de la valeur presque négative de certaines parties de l'érudition de Clarke, citons en entier son étude des "Spanish Poets" (pp. 76-7).

"Quevedo - the same author who wrote those Visions which we have translated into English. 89

Lopez de Vega Carpio, who wrote the Jerusalem Conquistada, tragedies, comedies, etc.

Calderoni, the celebrated comic poet. The great favourite of the Spanish nation: they relish little else upon the stage, but what he has wrote. See the article "Stage". His works are in eight or nine volumes 4 to. Don Alonso de Ercilla - Gil Polo, Principe de Esquilache - Antonio Lofraso 90 - Juan Rufo - Pineda 91 - Figueroa - Antonio de Nebrixa - Vega - Don Miguel de Barrios - Gongorra [sic], etc."

Comme description de la poésie espagnole il serait difficile d'imaginer quelque chose de plus insuffisant ou de plus déséquilibré. .i.Ponz; (pp. ix ss.) relève une série d'erreurs dans les renseignements donnés par Clarke. Ces erreurs sont cependant assez pardonnables vu les difficultés qui rendaient alors très pénible la préparation d'un ouvrage scientifique. D'autre part, il faut admettre que ces erreurs sont peu de chose en comparaison de l'amas de renseignements contenus dans les trois cents cinquante pages des Lettres. Il suffit de consulter la 'Table of Contents' pour voir la variété des sujets sur lesquels Clarke donne des renseignements précis, et le plus souvent corrects.

Les Espagnols n'auraient pas reproché à Clarke l'inexactitude de ses renseignements s'ils n'avaient pas eu des motifs beaucoup plus profonds de se plaindre. Leur reproche fondamental était que Clarke est injuste envers l'Espagne, qu'il la méprise et la hait, qu'il a été le prototype du voyageur anglais qui profite de son voyage en Espagne pour étaler ses sentiments anti-espagnols et pour jeter de l'huile sur le feu de la Légende Noire. C'est un reproche qui étonne, car à une lecture superficielle des Lettres, on aperçoit surtout des constatations arides où le sentiment a très peu de place.

Selon .i.Ponz;, les voyageurs Anglais, Clarke en tête, ont été pervertis par des écrivains français - le Maréchal de Bassompierre, la Comtesse d'Aunois, le Père Labbat, Madame de Villars, et l'Abbé de Vayrac. Pour .i.Ponz;, donc, le Diable, c'est la France, et l'Angleterre n'a joué que le rôle d'Eve; elle s'est laissé tenter. Cela n'empêche que .i.Ponz; perd les étriers en parlant de Clarke.

Or Clarke lui-même dresse (p. viii) à peu près la même liste de voyages antérieurs que celle citée par .i.Ponz; (p. viii), qui a dû s'en inspirer. Mais Clarke lui-même proteste contre l'injustice de ces écrivains, et prétend qu'il est le premier étranger à rendre justice à l'Espagne:

"Those who will take the pains to read what the Marshal Bassompierre, the Countess d'Aunois, Father Labat, the Abbé Vayrac, Madame de Villars, M. Desormeaux, Don Juan Alvarez de Colmenares, himself a Spaniard, and others who have written upon this subject, will see the difference between a fair, true, and impartial account, and one dictated by a heart overflowing with gall, and penned with the ink of invective. And yet, what is more remarkable, their descriptions were written by authors of the same religious persuasion with the Spaniards, by true and zealous catholics. If mine has any merit to claim over theirs, it is by showing, that a protestant has written a more favorable account of a Catholic country, than catholics themselves have published. Truth and fact have been throughout the sole subject of my attention. I had neither ill nature to gratify, or [sic] spleen to indulge: I abhor all national reflection, and despise from my heart the little prejudices of country, or custom. Upon many accounts I love and revere the Spaniards: I admire their virtues, and applaud their valour. All nations and regions have their respective merits. But, notwithstanding, I have steadily kept that just rule in view:

Ne quid FALSI dicere verus, ne quid VERI non ausus"

(p. viii).

Clarke se flatte; son impartialité, son manque de préjugés nationaux sont loin d'être aussi grands qu'il le suppose, ainsi que le prouve le passage, cité par la Montly Review, sur son orgueil d'être né anglais. Mais il est, comme nous le verrons, beaucoup plus juste, plus impartial que ne le veut .i.Ponz;.

.i.Ponz; proteste amèrement contre un passage de la Préface de Clarke (p. 11) où l'anglais explique la difficulté qu'il a eue pour obtenir des renseignements en Espagne:

"The following papers would have been much less superficial and jejune, if the country, in which they were collected had been half so communicative as that in which they are published. In SPAIN, the want of that general education and knowledge, which is so universally diffused throughout this island, renders the progress of all enquiry very slow and difficult: the reserved temper and genius of the Spaniards makes it still more embarassed; but the caution they use, and the suspicions they entertain with regard to heretics, especially priests, are generally sufficient to damp the most industrious and inquisitive researcher. Add to this that invincible obstacle to all free enquiry in catholic countries, the inquisition, and then it is apprehended that the reader will not wonder, that he finds so little entertainment and information in the following letters."

Remarquons les mots "especially priests"; il ne fait pas de doute qu'un pasteur protestant comme Clarke aurait une réception assez froide en Espagne. D'autre part, ses plaintes semblent assez justifiées. Si dans l'Espagne méridionale et orientale on pouvait et on peut obtenir des habitants une richesse de renseignements, pas trop exacts peut-être, dans la Castille, au contraire, les habitants semblent avoir été, encore plus qu'aujourd'hui, renfermés et peu communicatifs. (Madrid a beaucoup changé depuis lors). Quoiqu'il en soit, .i.Ponz; relève avec indignation ce court passage, le seul de cette Préface qui soit défavorable à l'Espagne. Il répond avec beaucoup d'irritation (Prólogo, p. iv) que l'Espagne a été trop bonne envers les Anglais:

"Nuestra Nacion se ha fiado de la suya tal vez mas de lo que era justo, y convenía a sus intereses, y por otra parte [es] notoria cierta predilección a los Ingleses en España, a pesar de la diferencia de Religion, a pesar del odio que suele resultar de sangrientas guerras, o por otras razones."

Selon .i.Ponz;, Clarke répond à cette générosité avec des insultes. Tandis que l'Angleterre poursuit sa politique égoïste et immorale, l'Espagne acueille tous les étrangers, qui fort souvent y font fortune, et rentrent opulents dans leur pays natal. D'autre part, n'est-il pas absurde et injuste que Clarke qualifie les Espagnols de taciturnes et de peu communicatifs? S'il y a un peuple européen qui pèche de cette façon, c'est notoirement le peuple anglais (pp. v-vii). .i.Ponz; va jusqu'à affirmer même que le peuple anglais est mesquin et avare, tandis que les Espagnols sont naturels, courtois, et nullement intéressés (p. vii).

Il affirme (p. vi) de même que Clarke se plaint de ce que les Espagnols ne sachent pas le français, et riposte que les Anglais ne le savent pas non plus: mais il a très mal lu le texte de Clarke, qui ne se plaint nullement, qui explique tout simplement les difficultés causées d'abord par son ignorance de la langue espagnole, ignorance très pardonnable d'ailleurs, puisque les Anglais n'apprennent que le français et l'Italien (Préface, p. iii).

La lettre la plus défavorable à l'Espagne est peut-être la sixième, intitulée "View of the Stage", où Clarke décrit une fonction de théâtre à laquelle il assista. Elle était grotesque, mais Clarke affirme que sa description satirique n'a qu'une valeur relative, puisqu'il ne comprit pas grand chose de ce que disaient les acteurs. .i.Ponz; (p. viii) admet que Clarke avait raison de critiquer la pièce qu'il vit; c'était un de ces autos sacramentales qui depuis avaient été avec si juste raison prohibées; mais, et c'est un objection bien fondée, Clarke n'aurait pas dû prendre comme unique modèle une de ces pauvres pièces dont les Espagnols eux-mêmes avaient honte.

.i.Ponz; proteste ensuite (p. ix) contre les passages qui se rapportent à Charles V et à Phillippe II. Quant au premier, affirme-t-il, Clarke en parle "indecentemente"; il traite de façon encore pire le second, qu'il aurait dû respecter, puisqu'il avait été roi d'Angleterre. .i.Ponz; parle sans doute de la lettre huit intitulée "Description of the Convent of St. Laurence, commonly called the Escurial". Or Clarke ne s'y moque nullement ni de Charles V ni de Philippe II eux-mêmes. Il ne fait que citer avec ironie la croyance très courante chez les Espagnols que l'âme de Philippe II se pRomenait encore toutes les nuits dans les couloirs de l'Escurial. Il est vrai qu'il n'aime pas beaucoup le roi-moine. A propos d'un portrait de lui, il dit:

"...the painter has been very happily expressive of his character; cruelty, pride, hypocrisy, malice, revenge, and a dark air of dissimulation are all well assembled in the lines and colours of his countenance" (pp. 137-8).

Mais il ne fait jamais d'attaque en règle contre Philippe II. Quant à Charles V, Clarke cite (pp. 141 ss.) en traduction anglaise les passages qui ont rapport à lui dans l'oraison funèbre prononcée en 1654 lors du transport des ossements royaux au "panthéon" de l'Escurial. Ces passages sont vraiment ridicules, digne modèle pour un Fray Gerundio de Campazas. Mais c'est du prédicateur et non pas de Charles V lui-même que Clarke se moque.

.i.Ponz; s'en prend ensuite à la lettre quatre, intitulée "State of Literature, Letters, and Men of Learning in Spain". Dans l'introduction de cette lettre, Clarke excuse l'Espagne de ne pas avoir fait de grands progrès dans les sciences et les arts. L'inquisition, et nullement un manque d'aptitude, en est la cause:

"The Inquisitors or Dominicans have to censure all works printed there, and, if they please, chastise and punish the authors...I know not well how many licences a book must have before it can actually pass the press, but I think at least three. It is usually read by as many censors, and is carefully cleansed by the Catholic sponge, before it falls under the eye of the public" (p. 50).

Les écrivains qui travaillent dans ces conditions font preuve d'un talent vigoureux et original en s'imposant malgré toutes les entraves:

"Such being then the true state of the case, we are certainly much obliged to those wits and geniuses of Spain, who have had firmness enough to break through all these obstacles, and have produced works which have made their names the theme of their own countrymen, and respected and esteemed abroad." (pp. 51-2).

Suit une analyse très favorable des lettres espagnoles. Clarke se trompe peut-être en affirmant qu'il y avait une censure préalable de toutes les oeuvres, mais le fait est, ainsi qu'en temoignent une foule d'écrivains, que même au 18ème siècle, l'inquisition étouffait la circulation des livres, surtout des livres étrangers. Cependant, .i.Ponz; ne veut rien savoir. Il observe qu'il a publié treize volumes de son voyage sans aucune espèce de censure dominicaine ou autre, et il conclut:

"Tres esponjas, y aun seis merecería la obra de Clarke para purgarla de los desatinos que contiene, y antes de que la hubiese presentado a su Nacion contándole falsedades"

(I, Prologo, p. ix).

La description de l'Escorialn'est pas trop défavorable. La seule chose que Clarke a de la peine à goûter est l'extérieur si froid et si peu aimable.

"The principal things in this convent are, first, the Church, which is a noble edifice in the inside; its riches and paintings are inestimable; but of these latter, I shall give a separate catalogue herafter. The outside, however, of this church, is the heaviest building imaginable. The whole thing is a sort of quarry above the ground. It has often put me in the mind of those lines of Mr. Pope:

Greatness with Timon dwells in such a draught,

As brings all Brobdignag before your thought.

I can discover no style of architecture in it, though it is most probably of the Doric order. It is a large, confused stupendous pile, divided into a vast number of square courts."

A propos de ces quelques phrases ironiques, .i.Ponz; se fâche tout à fait: "Perdóneme el Doctor Clarke, que en materia de bellas Artes es un ignoranton de primer órden." (p. ix). Il réplique d'une façon puérile, en faisant une comparaison entre l'Escurial et St. Paul's de Londres, et en affirmant, sans s'expliquer, que le bâtiment espagnol est infiniment supérieur:

"No es menester taparrse la cara para poner al Escorial muy sobre S. Pablo de Londres, si se atiende a todas las consideraciones del arte: al carácter, sencillez, correspondencia, magnificencia y suntuosidad del todo del edificio, y a los ornatos que encierra. Ni tampoco sería menester tapársela para poner un poco más arriba al Arquitecto del Escorial que al de S. Pablo" (pp. xx-xii).

.i.Ponz; proteste ensuite contre les passages que Clarke a dédiés à la religion catholique. Il pense sans doute surtout à la seconde lettre, intitulée "The State of Religion in Spain", qui contient une attaque contre le catholicisme en général, et plus spécialement contre celui de l'Espagne. En suivant des théories nouvelles au 18ème siècle, Clarke condamne le catholicisme comme un retour au paganisme, comme une perte de la vraie tradition chrétienne. Il a trouvé son inspiration surtout chez le célèbre théologien Middleton (1683-1750), dont l'"Introductory Discourse" était paru en 1747. Clarke a puisé aussi de la passion anti-papale chez le théologien Michael Geddes, qui, étant aumônier de l'établissement anglais à Lisbonne, eut maille à partir en 1686 avec l'inquisition Portugaise, et dont Bishop Burnet à dit:

"He had a true notion of Popery, as a political combination, managed by falsehood and cruelty, to establish a temporal empire in the person of the Popes. All his thoughts and studies were chiefly employed in detecting this." 92

Il va sans dire que Clarke, inspiré par de tels écrivains, parle de l'église catholique avec un mépris complet. Sa pensée est bien exprimée dans le passage suivant:

"As the Spanish Church remained pure, uncorrupted and unpapistical till towards the VIIIth century; so from that period downwards, Paganism artfully, and by almost imperceptible insinuations, gradually stole in, wearing that mask or vizor, which we now call Popery. Whatever triumphs Christianity may formerly have gained over the Gentile worship; Paganism, in all Catholic countries, is now entirely revenged; she triumphed in her turn from the moment she established herself in the form of Popery. Concealed under this drapery, she presides in the very tabernacle and sanctuary of christians, and is worshipped sitting between the Horns of the altar. When you enter a Roman catholic, aposotolic, papistical, christian temple, at your first view you see that all is Pagan" (p. 11).

Remarquons que pour Clarke, même en Espagne, le catholicisme papal n'est ni autochtone ni représentatif du vrai christianisme espagnol. Bien que ce chapitre, ou plutot cette lettre, soit surtout une étude historique, les insultes et les phrases tendencieuses y sont parsemés si librement que tout catholique pourrait, et même devrait se sentir offensé. Cependant, .i.Ponz; ne mentionne ce passage que vers la fin de sa réponse, et d'une façon si vague d'ailleurs qu'on sent qu'il ne se considère pas compétent pour répondre aux questions historiques soulevées par Clarke.

Les derniers paragraphes de .i.Ponz; sont écrits sur un ton un peu plus conciliant. Il rejette les louanges que Clarke accorde aux dames, à l'amitié, et aux soldats espagnols, en disant que ces louanges, prononcées par un homme qui méprise injustement l'Espagne, ne sont pas acceptables. Mais il admet les critiques que fait Clarke de l'abandon où se trouvent les forêts espagnoles, de la condition pitoyable des auberges et de la plupart des routes espagnoles. Seulement, il avertit qu'un siècle auparavant, les routes anglaises étaient également dans un état encore plus pitoyable, et qu'un jour il se peut que la comparaison soit de nouveau favorable à l'Espagne, de sorte que c'est une imprudence de la part des Anglais d'insulter maintenant l'Espagne. Ayant ainsi épuisé sa rancune contre Clarke, .i.Ponz; s'occupe de Swinburne (pp. xiv-xv).

Quand nous lisons aujourd'hui le commentaire plein de fiel qu'Antonio .i.Ponz;, après un laps de vingt-deux ans, a écrit des "Lettres" de Clarke, nous restons ébahis. Il n'a relevé que les passages défavorables à l'Espagne: il est certain qu'ils existent, mais .i.Ponz; ne dit mot de la masse du livre, qui contient surtout des renseignements secs et impartiaux, et des passages dans lesquels une certaine hispanophilie se fait souvent jour. On pourrait citer la défense que fait Clarke des combats de taureaux, que les hispanophobes ont souvent pris comme point de mire pour leurs attaques:

"The spectacle is one of the finest in the world, whether it is considered merely as a coup d'oeil, or as an exertion of the bravery and infinite agility of the performers. The Spaniards are devoted to it...Nor do I greatly wonder at them, when I consider how much my own country, that is certainly as humane as any nation, is bigotted to its customs of bull-baiting, cock-fighting, etc. I do not deny, that this is a remnant of Moorish or perhaps Roman barbarity; and that it will not bear the speculations of the closet, or the compassionate feelings of a tender heart. But, after all, we must not speculate too nicely, lest we should lose the hardness of manhood in the softer sentiments of philosophy. There is a certain degree of ferocity requisite in our natures; and which, as on the one hand it should be restrained within proper bounds, that it may not degenerate into cruelty; so, on the other, we must not refine too much upon it, for fear of sinking into effeminacy. This custom is far from having cruelty for its object; bravery and intrepidity, joined with ability and skill, are what obtain the loudest acclamations from the people: it has all the good effects of chivalry, in exciting the minds of the spectators to great actions, without the horror that prevailed in former times, of distinguishing bravery to the prejudice of our own species. It teaches to despise danger; and that the surest way to overcome it, is to look it calmly and steadfastly in the face; to afford a faithful and generous assistance to those engaged with us in enterprises of difficulty: and in short, tho' it may not be strictly consonant to the laws of humanity and good nature, it may yet be productive of great and glorious effects; and is certainly the mark of qualities, that do honour to any nation" (pp. 111-2).

Cependant, ce passage n'est pas très probant, car le prince des hispanophobes, Mariana, défend, lui-aussi, les combats de taureaux, qui ne sont devenus la grande pierre de scandale que depuis la diparition des autres bêtes noires de l'hispanophobie; la monarchie absolue, la toute puissance de l'église, la tyrannie de l'inquisition. Quoiqu'il en soit, ni l'érudition ni les moments d'hispanophilie de Clarke n'ont suffi pour adoucir les coeurs de ses ennemis et pour calmer leur colère. Les réactions extrêmement violentes de .i.Ponz; et des autres Espagnols ou hispanophiles ne s'expliquent que par une très grande tension nerveuse. Aujourd'hui, loin de ces disputes bruyantes, nous avons l'impression de circuler parmi des gens irrités dont la susceptibilité hypertrophiée cherche partout des motifs de plainte et d'accusation.

Clarke mourut en 1786, l'année après la publication du Viaje Fuera de Espagne de .i.Ponz;. En Angleterre ses Lettres avaient été accueillies en général d'une façon très favorable. Clarke a dû, malgré tout, entendre la rumeur lointaine des indignités auxquelles, surtout en Espagne, on soumettait son nom. Cependant, il ne semble jamais s'être donné la peine de se justifier. Il ne retourna d'ailleurs jamais dans la Péninsule, mais en 1763 il alla à Minorque, à l'époque possession anglaise, comme aumônier et secrétaire du Général Johnston et des gouverneurs sucessifs. Il semble pendant ces années avoir oublié les problèmes de l'hispanisme, et n'avoir pensé qu'à ceux de l'administration minorcaine qui lui a causé bien des soucis. Le père de notre hispaniste, William Clarke, archéologue connu, écrivit dans une lettre:

"The warm contests about the government of Minorca have affected us. My son, as secretary to the Deputy Governor, could not properly avoid having some concern in them, and may perhaps lose his post; though it is a little hard to make persons suffer for what they do by the direction of their superiors in office." 93

En 1767 Clarke publia, à Londres, une "Defence of the conduct of the Lieutenant governor of the Island of Minorca, in Reply to a Printed Libel". En 1768 il s'établit de nouveau en Angleterre. Son silence face aux attaques de .i.Ponz; et confrères s'explique peut-être par le mauvais état de sa santé, car pendant les dernières années de son existence, sa vitalité s'amoindrit progressivement, et s'éteignit en 1786.

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Notes

85 Article de J. Westley Gibson dans le Dictionary of National Biography.William Otter, The Life and Remains of the Rev. Edward Daniel Clarke, H.D., London, 1824. Il s'agit du célèbre fils de notre hispaniste , dont cependant la vie est racontée aux pages 18 ss.Monthly Review, vol. 28 (année 1763). Une longue critique des Lettres de Clarke se trouve aux pages 287-295. Mark Antony Lower, The Worthies of Sussex, Lewes 1865, pp. 268-9.

86 Tome V, pp. 389-433. Cote du British Museum: 10025 bb.

87 Foulché-Delbosc, Bibliographie des Voyages en Espagne et en Portugal, p. 112.

88 Bibliothèque universelle des Voyages, Tome III, pp. 390-3.

89 Il n'a jamais été question d'une traduction des Visions faite par Clarke. Il veut parler tout simplement de la traduction de Lestrange (1702) ou de celle de Núñez (1745). L'anglais de Clarke est souvent assez mauvais.

90 Ce poète de troisième rang serait oublié sans l'éloge que Cervantes en fit, et qui est sans doute la raison d'être de l'édition des Diez Libros de Fortuna de Amor publiée à Londres en 1740 par Pedro Pineda.

91 De quel Pineda s'agit-il? Aucun des deux religieux nommés Juan de Pineda (le premier mourut vers 1593, le second vécut de 1558 à 1637) n'a écrit des vers.

92 "History of the Reformation", III, p. 306.


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